La ferme africaine de Karen Blixen

9 juillet 2010

Ce livre n'est pas très aisé à résumer dans la mesure où il ne raconte pas vraiment d'histoire. Il est surtout composé d'une juxtaposition d'anecdotes contées par Karen Blixen, qui nous conduit au cœur de ses souvenirs, à l'époque où elle vivait en Afrique et dirigeait une plantation de café. De la chronologie des évènements, on ne sait que peu de choses, hormis quelques rares marqueurs temporels (références à la première guerre mondiale notamment).De même, on ne sait pour ainsi dire rien des raisons qui ont poussé la baronne Blixen à quitter son Danemark natal pour diriger une ferme africaine.

Car l'essentiel du récit est axé sur les hommes qui ont croisé sa route et qui l'ont profondément marquée, qu'il s'agisse des indigènes Kikuyu, des guerriers Massaï, des femmes Somalies, de ses amis européens qui, comme elle, se sont laissés envouter par l'Afrique. A travers ces portraits, l'auteur présente la vie quotidienne à la ferme, ses relations, plutôt rares, avec les autres colons, les rites et coutumes des indigènes mais conte surtout son amour de l'Afrique et des Africains. "A ce moment là, je pensais seulement que le pays ne m'avait jamais paru aussi beau. C'était comme si sa simple contemplation devait suffire à me rendre heureuse jusqu'à la fin de mes jours."

Car, à une époque où, en pleine période coloniale, les européens étaient globalement persuadés de leur supériorité et de la nécessité d'apporter la civilisation à des peuplades sauvages, le récit de Karen Blixen est empreint de respect (parfois un peu teinté de paternalisme il est vrai) et d'admiration pour les africains, leur fierté et leurs coutumes.

Karen Blixen et les indigènes Kikuyu

Ce que j'en ai pensé :

Dès les premières pages, j'ai été emportée par la sensualité de la prose de Karen Blixen. Les descriptions ont mis tous mes sens en éveil : les paysages aux teintes tantôt sèches et brulées comme des poteries, tantôt lunaires, tantôt luxuriantes, l'odeur des fleurs, du café brûlé et de l'encens, le bruit de la pluie, le souffle du vent brûlant dans les plaines mais glacial en altitude...

La personnalité de l'auteur m'a également touchée par sa modernité. Le récit se déroule dans les années 1920, époque où l'émancipation de la femme en était encore à ses débuts, mais Karen Blixen apparait comme une pionnière en la matière : elle dirige seule une plantation de café, elle agit parfois comme un homme (elle chasse, elle vole alors que l'aviation en est à ses prémisses), elle a noué des liens forts avec les indigènes et se sent plus proche d'eux que des colons, elle est libre et on suppose qu'elle a des amants (bien qu'aucune relation sentimentale ne soit directement évoquée, on suppose que ses liens privilégiés avec Denys Finch Hatton vont au delà de la simple amitié)...

En conclusion, un très beau récit, qui me donne bien envie de me plonger dans le film Out of Africa, ne serait ce que pour retrouver l'ambiance si particulière de la vallée du Ngong.

"Quand le souffle passait en sifflant au-dessus de ma tête, c'était le vent dans les grands arbres de la forêt et non la pluie. Quand il rasait le sol, c'était le vent dans les buissons et les hautes herbes, mais ce n'était pas la pluie. Quand il bruissait et chuintait à hauteur d'homme, c'était le vent dans les champs de maïs. Il possédait si bien les sonorités de la pluie que l'on se faisait abuser sans cesse, cependant on l'écoutait avec un plaisir certain, comme si un spectacle tant attendu apparaissait enfin sur la scène. Et ce n'était toujours pas la pluie.

Mais lorsque la terre répondait à l'unisson d'un rugissement profond, luxuriant et croissant, lorsque le monde entier chantait autour de moi, alors c'était bien la pluie. C'était comme de retrouver la mer après en avoir été longtemps privée, comme l'étreinte d'une amant."

Quelques photos de l'auteur :